~ Lune aveugle ~ Une étrange histoire.

03/05/2001

Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours détesté la pluie...

Pas l'averse d'été, rafraîchissante, bienfaisante, mais la lourde pluie de l'hiver , celle qui raccourci encore les jours et les rend plus moroses. Le monde s'endort, repte, s'alourdit... le monde devient gris et de lourdes masses pesantes s'étirent au dessus de nos têtes dans le ciel, pendant que crépitent les gouttes sur le sol, les feuilles et les ordures.
Enfant, alors que nous habitions encore rue st Lazare à Paris, avec mes parents, je restais à la fenêtre, les mercredi après midi pluvieux, à observer le monde au dehors, le nez collé contre la vitre, mon souffle couvrant de buée le verre froid. Les mains posées sur le rebord, la douce chaleur rassurante du chauffage baignant mon corps, j'observais le monde, les gens qui passaient dans la rue en contrebas d'un pas horriblement pressé, recroquevillés sous les masses noires à l'apparence chitineuse de leur parapluie, et les vehicules aux yeux jaunes éblouissant reptant lentement, entre lesquels ils se faufilaient.
Je me souviens que je ressentais toujours une immense tristesse lorsque la pluie volait au monde son soleil, et semblait rendre chaque chose hostile, maléfique, semblait transformer chaque instant passé au grand air en une épreuve d'où l 'on devait ressortir sec, indemne. J'aimais tant sortir, profiter du monde, écouter les arbres bruirent doucement dans la brise, vivre ; et la pluie me condamnait à rester enfermé, condamnait le monde même à se recroqueviller dans l'ombre d'une nuit diurne.
Mylène finissait toujours par s'approcher de moi, me poser une douce main à la peau de pêche sur l'épaule et me conseiller d'une voix douce de cesser de me tourmenter.
" C'est ainsi bastien, la pluie et le beau temps sont comme la joie et le malheur : l'un ne peut exister sans l'autre, car sinon, le cycle ne pourrait se faire. Attends le retour du soleil patiemment. Il reviendra..."
Oui... l'enfance.

Le soir où je l'ai vu pour la première fois, la semaine dernière, il pleuvait. Je rentrais d'une journée exécrable de travail et avais, pour couronner le tout, loupé mon bus. J'avais du parcourir les quelques kilomètres qui séparaient la gare de mon domicile à pied, et cela ne m'aurait pas trop gêné si je n'avais pas eu la bonne idée d'oublier mon parapluie au bureau. Je me protégeais donc tant bien que mal avec ma sacoche de cuir marron, en espérant que le contenu n'en pâtirait pas trop, et arrivais finalement au bout de vingt minutes de douche torrentielle devant mon immeuble.
J'habite seul une petite résidence calme et bien fréquentée à G., tournée vers un champ de blé, pourvu d'une petite cour intérieure et possédant deux appartements assez spacieux à chaque étage. Je remontais l'allée de dalle grise jusqu'à la porte de verre, fermée et protégée par digicode, et m'abritais sous l'avancée du bâtiment, me mettant enfin à l'abri. Je grognais de déplaisir, et tout en cherchant mes clés (je ne me souvenais quasiment jamais du code de la porte), levais la tête vers le ciel nocturne, jetant un oeil courroucé et lourd de reproche aux nuages paresseux et gras.
Je n'arrivais pas a trouver le trousseau au fond de ma poche et commençais à m'énerver ; je grommelais de plus en plus belle, fourrageant en regardant machinalement devant moi, vers le champ alors en friche.
Et alors que j'étais là le regard perdu dans le vague, l'herbe de la pelouse murmurant tout autour de moi sous l'assaut intarissable des gouttes, il se passa quelque chose.
La lune apparut subrepticement dans une trouée de nuages, disque pâle couvert de sombres taches maladives, et sembla couler sur le monde noyé un regard dénué de tout sentiment, froid, glacial. On eu dit un oeil immense et souffreteux couvert d'une taie blanche, juge aveugle d'émotions qu'elle ne pourrait jamais atteindre ni comprendre.
Je ne le remarquais pas sur le coup mais le monde devint brusquement silencieux ; seul le bruit de la pluie subsistait, semblant ne vouloir jamais cesser. Les nuages se mouvaient lentement, très lentement dans le ciel noir, et les ombres semblaient retenir leurs souffles.
Je fus pris d'un frisson incontrôlable et, sans raison, ressenti soudain une immense sensation de tristesse, aiguisée et violente, comme une lame glaciale s'enfonçant dans mes entrailles. J'eu l'impression de me vider de mon énergie, de tomber intérieurement, de n'être rien, rien d'autre qu'un détail, qu'une anecdote ; et ma vie vide de sens et d'intérêt sembla se dissoudre en une fraction de seconde. Ma main ne bougeait plus dans ma poche.
Je restais figé, et mon haleine réduite à un souffle de mourrant ne faisait presque plus de vapeur en sortant de ma bouche. Seuls mes yeux bougeaient encore un peu.

Devant moi, à une centaines de mètre peut-être, au milieu du champ, je pouvais voir une silhouette humaine, immobile. Le manque de luminosité m'empêchait d'en distinguer les détails, mais je vis qu'il portait un parka noir et luisant à cause de la pluie ; et je n'en suis pas sûr, mais je pense qu'une capuche masquait ses traits.

Bien... il se fait tard maintenant et je vais aller prendre un peu de repos. Je continuerais ce récit ultérieurement.

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